Je reviens tout juste de la conférence intitulée « Bibliothèques et développement durable », qui s’est tenue à Kuching (Sarawak, Bornéo, Malaisie). Organisée par la branche sarawakienne de l’association des bibliothécaires de Malaisie (Persatuan Perpustakaan Malaysia, PPM) comme contribution des bibliothécaires aux célébrations du cinquantenaire de l’indépendance de la Malaisie, elle a réuni 160 participants autour de 15 intervenants, 10 venant de Malaisie, et 5 de Thaïlande, Indonésie, Iran, Australie et Etats-Unis.
Si certaines communications étaient un peu « hors sujet » (le marketing appliqué à la bibliothèque, la norme de description bibliographique RDA, les bibliothèques numériques iraniennes, les facteurs de satisfaction ou non-satisfaction au travail des bibliothécaires dans les BU malaisiennes, les projets de développement durable du Roi de Thaïlande pour l’agriculture), la plupart étaient liées au thème du développement durable et des bibliothèques.
Le rôle de l’IFLA et la déclaration faite lors du Congrès de Glasgow en 2005 sur les bibliothèques et le développement durable ont été rappelés. A propos de l’IFLA, les bibliothécaires malaisiens attendent avec impatience l’annonce (qui sera faite à Durban) de la ville lauréate pour accueillir le Congrès de 2010, car Kuala Lumpur a été retenue avec 2 concurrents : Singapour et Brisbane !
Quelques notes sur les communications qui m’ont le plus intéressée :
Partenariats entre bibliothèques de pays développés et pays en voie de développement
John Hickok (California State University) a visité pendant un an (2005-2006) des bibliothèques dans 14 pays d’Asie du Sud-Est, afin de mieux évaluer les besoins des étudiants étrangers en matière de recherche (c’est ce type de projet que j’aurais dû proposer au Ministère !). Principaux pays qui affichent clairement une politique de partenariat : Etats-Unis (ALA, Sister Libraries Programme), Royaume-Uni (CILIP, Tsunami Fund), France (ABF, le partenariat de la BM d’Angers et de Bamako a été cité), Australie (ALIA). En 1996, l’IFLA a mis en place une base de données pour faciliter les jumelages entre bibliothèques, qui n’a pas eu le succès escompté. De nombreux exemples de partenariats ont été cités : Association des bibliothèques du Colorado et bibliothèques de Bulgarie (vente d’artisanat bulgare dans le Colorado pour financer l’achat de livres) ; Queens Library, New York, et bibliothèque publique de Shanghai (échanges de professionnels et d’expositions) ; bibliothèques de l’Etat de Victoria, Australie, et bibliothèque publique du Timor Oriental (échange de professionnels et aide financière); association de 6 bibliothèques publiques du Royaume-Uni et de bibliothèques publiques dans 6 pays d’Afrique (critiques de livres lus par des lecteurs des deux continents diffusées en vidéo-conférence) ; université de Curtin, Australie, et université de Jakarta, Indonésie (coopération dans les programmes enseignés et accès à distance aux bases de données de Curtin) ; California State University et Université nationale du Vietnam (échange de professionnels) ; University of Illinois, Etats-Unis, et universités africaines (échanges de documents concernant l’Afrique), etc.
Accès à internet en Malaisie
Deux communications sur ce thème : l’une par Maxis, sponsor de la conférence et opérateur de téléphonie, a rappelé que 85% de la population mondiale n’a pas accès à internet. La Malaisie (26 millions d’habitants) compte 5 millions d’ordinateurs et 13% d’internautes. Maxis a rappelé sa participation aux projets USP (connexion internet dans les bibliothèques rurales, voir la communication de la Bibliothèque du Sarawak au Congrès IFLA 2007, disponible en français), et a évoqué les « CyberKids Camps » organisés pour initier les enfants des écoles rurales à internet (en 2006, 20 camps, 360 écoles, 100000 participants).
L’autre communication, la plus intéressante du congrès à mes yeux, donnait les grandes lignes d’eBario, projet pilote de l’Université de Sarawak (UNIMAS) avec le soutien du Conseil national malaisien pour les TIC, et du gouvernement canadien. Grâce à ce projet, la petite communauté de Bario (1000 personnes réparties en 12 villages), située sur les hauts plateaux du Sarawak et accessible uniquement par avion, est connectée au téléphone et à internet depuis 2004 (les équipements ont été portés à dos de buffle !). Bario représentait un cas réel de la fracture numérique et de pauvreté en milieu rural. Après deux ans de travail et de réunions avec les communautés locales (chef du village, différents groupes religieux, écoles, etc), et grâce à la volonté et la conviction des habitants, des formations ont eu lieu et les équipements et infrastructures ont été installés. Résultats : ouverture du village au tourisme (multiplication des gîtes, avec chacun leur site web, et possibilité de réserver par courriel), bénéfices pour les restaurateurs, commerçants, limitation de l’exode rural, pour les jeunes, intégration et scolarisation en ville pour les études supérieures plus aisées, meilleure gestion des situations de crise ou d’urgence, etc. En projet : un site internet à la manière d’un wiki, qui permettrait à la communauté locale d’enregistrer par écrit ou sous forme audio et video, son héritage culturel qui est en passe de disparaître (langue, coutumes, musique, médecine traditionnelle) ; la forme du wiki pourrait permettre à des linguistes du monde entier de participer au projet concernant la langue… Une bibliothèque numérique embryonnaire a vu le jour (sous Greenstone), avec par exemple une video d’une vieille dame entonant un chant traditionnel, dont les paroles sont transcrites en kelabit et en anglais. Enfin, une conférence aura lieu du 6 u 8 décembre 2007 : ebario Knowledge Fair ! Coût total d’eBario : 170 000 euros. D’autres projets de ce type devraient être menés en Malaisie sur cet exemple. L’avantage de Bario a été de pouvoir miser sur le tourisme comme point d’accroche…
Réseau de bibliothèques en Indonésie
La ville de Yogyakarta tente depuis 2005 de mettre en réseau ses bibliothèques (1 bibliothèque publique et 11 bibliothèques universitaires), avec une politique d’accès et un serveur informatique communs : Jogja Library For All (JLFA). Les obstacles sont nombreux : dommages dus au séisme de mai 2006, manque de communication au sein des bibliothèques et entre elles, peu de volonté de certains bibliothécaires de partager leurs ressources. Cependant le soutien du gouverneur de la ville, des recteurs des universités et des directeurs des bibliothèques, ainsi que la pression du public, ont abouti au lancement du projet en novembre 2006. La mise en réseau de la bibliothèque publique et de 5 universités en 2007 a eu un impact immédiat : le nombre de connexions aux bases de données est passé de 100000 en 2006 à 400000 eu premier semestre 2007. Voir le catalogue commun ici.
Accès en ligne à la bibliothèque pour les étudiants hors campus en Australie
Susan Roberts, bibliothécaire à Swinburne University of Technology, Melbourne (et en 2005 sur le campus de Swinburne à Kuching), a présenté les défis à relever pour répondre aux besoins d’information des 1200 étudiants qui s’inscrivent chaque semestre à Swinburne dans le cadre du réseau Open University Australia regroupant 7 universités proposant un enseignement à distance sans pré-requis d’âge, de nationalité, ni de formation antérieure. La bibliothèque leur propose pour l’instant un service de référence par courriel ou SMS (et bientôt par messagerie instantanée), un blog d’information et des podcasts, la possibilité d’emprunter des documents (envoi postal), l’accès aux bases de données. Le service sera rapidement amélioré avec l’achat de plus de documents disponibles pour le prêt, l’amélioration du site web, une lettre d’information envoyée chaque semestre aux nouveaux inscrits, et surtout la présence de la bibliothèque sur Blackboard (la plateforme de e-learning), avec la possibilité de contacter la bibliothèque depuis Blackboard, et encore plus UV intégrant un quizz ou des connaissances en maîtrise de l’information. Chouette !
NB : sur ce sujet et le suivant, voir un article à paraître à la fin de l’année dans un n° du BBF consacré à la recherche, suite à mon séjour à Perth (Australie) en décembre 2006…
Réservoirs institutionnels
Des bibliothécaires d’Universiti Technologi Mara, campus du Sarawak, ont présenté leur projet de réservoir institutionnel (réservoir de publications des enseignants et étudiants de l’université). Ce réservoir ne contient pour l’instant que les notices bibliographiques mais proposera bientôt le plein texte. Le bibliothécaire, responsable de la base, doit mettre en place la politique de gestion (quelles métadonnées ? comment gérer les différentes versions d’un même article ?) et de conservation du contenu. S’il est évident qu’un tel réservoir donne de la visibilité à l’université et aux travaux de ses chercheurs, le défi reste de convaincre les auteurs d’y verser leurs travaux… ce qui ne manque pas de soulever le sujet du droit d’auteur, de la reconnaissance des publications en ligne versus publications papier, de la rémunération et de la critique par les pairs… Cette présentation a changé quelques unes de mes idées sur les bibliothèques de Malaisie ! D’autant plus que j’ai appris que le réservoir institutionnel de l’University of Malaya (Kuala Lumpur) avait été inauguré la semaine dernière !
Conclusion
En conclusion des 3 jours de conférence, les points suivants ont été soulignés – la plupart sont valables pour d’autres pays que la Malaisie ! :
- être imaginatif et proposer des services innovants
- externaliser à défaut d’obtenir du renfort en personnel
- définir une politique de numérisation institutionnelle
- développer des bases de données et numériser dans les « niches » (= ce que ne font pas les prestataires commerciaux)
- fournir d’excellents services de référence
- être leader en knowledge management
- intégrer le e-learning aux pratiques actuelles
- utiliser des logiciels libres
- travailler en réseau
- proposer à l’usager ce qu’il veut : de l’information fiable, gratuite, accessible partout et tout le temps
- militer contre les droits d’auteur trop longs (en Malaisie, 50 ans après la mort de l’auteur !)
- et enfin, changer les mentalités des bibliothécaires…